L’autonomie alimentaire: se libérer de l’industrie agro-alimentaire et réhabiliter le vivant
Dans le monde d’hier, être « civilisé », c’était dompter la nature, la contrôler.[12]. Ce conflit de la civilisation occidentale et de la nature remonte en réalité aux Lumières. Selon les philosophes, la nature ne servait qu’à être exploitée. [13] Dans le monde de demain, on opère un « retour en avant » : les habitants ont renoué avec les cultures ancestrales, respectent la terre et le vivant en ayant recours à de nouvelles technologies, des senseurs sur les plantes et dans les ruches. L’agriculture devient écologiquement intensive, on cultive selon les principes de la permaculture, c’est à dire qu’on accompagne la nature plutôt que d’agir contre elle. Et surtout on s’inspire du génie de la nature pour concevoir des produits, des procédés ou des systèmes innovants qui nous permettent de réinventer l’agriculture, l’économie, l’architecture, notre propres modes de gouvernance, et même la robotique. Ce qui caractérise les espèces vivantes est leur interdépendance, leur communication, leur capacité à coopérer, leur adaptabilité à leur environnement.
L’efficacité d’une philosophie telle que la permaculture permet de réintroduire le vivant dans les sols et de cultiver de la manière la plus efficiente possible. Grâce à elle , les villes et leurs alentours, organisées en micro-sociétés autonomes sont autosuffisantes au niveau alimentaire. Nous vivons désormais dans des villes végétales et comestibles : elles poussent naturellement à partir du vivant[14]. Les potagers se trouvent sur les toits, les fermes dans des gratte-ciels. On vit dans des maisons « champignons » qui se construisent seules[15]. Dans nos foyers éco-conçus, nos cuisines sont pensées de telle manière que les légumes et autres herbes aromatisés poussent dans les tiroirs, sur les étagères grâce à l’aquaponie.[16]
L’autonomie énergétique : la fin d’un modèle centralisé
Dans le monde d’hier, posséder l’énergie était synonyme de pouvoir, et prétexte à provoquer des guerres. C’est ainsi que celle-ci s’est retrouvée gérée par une minorité et d’une manière centralisée. Dans le monde de demain, l’énergie est partout et appartient à tout le monde : le soleil, le vent, la biomasse, nos déchets. La photosynthèse, est en réalité la première économie du monde[17]. L’énergie offerte par le soleil nous ouvre les yeux sur une nouvelle forme d’abondance. Nos villes sont devenues non-seulement autonomes en nourriture mais aussi en énergie : nous vivons dans de l’habitat positif qui produit plus d’énergie qu’il n’en consomme. Grâce au biomimétisme[18], nous avons compris le processus de photosynthèse des plantes[19]. La peinture des façades d’immeubles est photovoltaïque[20], celles-ci sont également construites à l’aide de sphères solaires qui optimisent la captation de l’énergie grâce à l’effet loupe[21]. Ces maisons ou immeubles positifs sont reliés entre eux grâce à internet et ce que l’on appelle un Smart-grid, un réseau intelligent : toute l’énergie produite est gérée de façon à ce que l’électricité soit optimisée entre les habitants. Le surplus d’énergie est également stocké dans la batterie des voitures électriques.
L’autonomie productive : la micro-industrie
Dans le monde d’hier, l’industrie était dépendante des énergies fossiles. Elle fonctionnait sur un modèle linéaire et centralisé : extraire, produire, consommer, jeter d’une façon illimitée. Ce modèle, peu soutenable a eu raison des ressources et de la biodiversité. Dans le monde de demain, les citoyens ont la possibilité de produire à peu près n’importe quoi depuis leur fab lab de quartier [22] à l’aide de matériaux locaux recyclables ou biodégradables. Ainsi, la ville, autonome en alimentation et en énergie est également devenue autonome au niveau productif, il s’agit de la Fab city.[23]
Non seulement fabriqués localement par les citoyens, les produits sont également conçus soit à partir des déchets, soit à partir de matériaux locaux, répertoriés dans une librairie géante de matériaux. Selon les principes du cradle to cradle[24] (berceau à berceau), les objets ne vont plus à la poubelle : ils retournent à la terre et laissent une empreinte positive sur la planète. Une maison imprimée en 3D sera désassemblable et nomade à l’envie, les poignées de porte conçues de telle façon à ce qu’elles comblent les besoins en vitamines, l’eau qui passe par les tuyaux est enrichie en oligo-éléments. Quant à la moquette et aux rideaux, ils nettoient l’air.
De plus, cette économie est ouverte : chacun partage ses projets et ses inventions sur le web. On peut imaginer et dessiner une tasse en Inde et la faire imprimer en France. C’est ce qu’on appelle l’open source. Ce modèle « pair à pair »[25] met fin à la production de richesse marchande illimitée qui a mené l’ancien monde à sa perte. Il se concentre désormais sur la production de richesse humaine et écologique. Les hommes ne travaillent plus comme avant, les objets sont mutualisés et partagés. On échange surtout des informations et des services.
La nouvelle abondance post-capitaliste[26]
Le monde d’hier était caractérisé par la propriété privée des moyens de production : les groupes industriels possédaient les machines et les brevets. Dans le monde de demain, les moyens de production appartiennent aux citoyens : ils mettent en commun leurs machines dans les Fab Labs de quartier, et partagent aussi l’intelligence et le savoir car tous ces fab labs sont interconnectés dans le monde. Cette évolution vers des micro-sociétés locales autonomes en alimentation, en énergie et au niveau productif , interconnectées entre elles au niveau globales, changent le rapport au travail et à la gouvernance. En effet, dans ce nouveau monde collaboratif, on crée et gère l’abondance grâce à la coopération entre individus.
Les indicateurs de richesse et de prospérité ne sont plus les mêmes : nous vivons désormais dans une économie du bonheur : cette économie privilégie le bien commun, l’intérêt général des générations présentes et futures. Elle devient altruiste et provoque à chaque fois plus d’intelligence collective, de coopération et de mutualisation des biens et des savoirs.
On passe alors d’une société de l’avoir à une société de l’être. C’est cela le grand changement de paradigme qui a permis d’inventer le nouveau contrat social du monde de demain. Ce nouveau contrat social permet plus d’harmonie au niveau personnel comme au niveau collectif et modifie notre manière de gérer notre environnement.
La (r)évolution humaine, citoyenne, démocratique et universelle
Ainsi, cultiver son projet personnel, être en accord avec ses valeurs, faire dans la vie ce pourquoi on est fait pour donner le meilleur de soi-même s’avère en effet utile à l’intérêt général. Il est désormais question de mettre en valeur ce qu’on est, ce qu’on fait et ce qu’on sait faire. Enfin, dans cette ère de coopération, de partage et de nouveaux rapports aux autres (puisque nous avons changé notre rapport au temps, grâce au revenu de base, à une société un peu plus slow) nous allons pouvoir libérer du temps pour continuer cette autonomie individuelle et poursuivre notre engagement citoyen, nos engagements solidaires, et notre implication dans la collectivité, la gestion de l’environnement et peut-être aussi dans notre spiritualité.
Le citoyen « empuissanté », qui vit désormais dans des territoires résilients et autonomes au niveau alimentaire, énergétique et productif, n’a plus besoin d’un Etat fort : le concept d’Etat nation est obsolète. Dès lors, ce citoyen producteur et collaboratif, libéré des contraintes financières participe à la communauté autrement. La remise en question des deux piliers de nos constitutions -l’emploi et la propriété- a révélé qu’il fallait réécrire le contrat social et économique en réécrivant la constitution du monde de demain[27]. Une société de citoyens qui n’attendent plus les institutions pour agir, crée les conditions nécessaires pour exercer le pouvoir autrement au niveau local et global.
Les agoras ont lieu on-line sur les réseaux sociaux, et off-line à l’occasion de « meets ups » citoyens (rencontres organisées grâce à internet mais dans la vraie vie). On invente des wiki-parlements et autres outils d’aide de prise à la décision collective. La démocratie s’appelle désormais l’holacratie[28] : elle annonce la fin d’un modèle concurrentiel et s’appuie sur des méthodes coopératives qui permettent de faire émerger la capacité d’innovation et le potentiel collectif de chaque organisation en la libérant des peurs et des ambitions des egos individuels. Les équipes auto-organisées sont amenées à prendre elles-mêmes des décisions.
Ainsi, après des années d’industrialisation, de modèle fordiste, tayloriste et de standardisation des tâches ; dans le monde de demain nous revendiquons notre unicité, nos talents spécifiques, et notre mission de vie. A l’image de la nature et des écosystèmes, l’abondance et la prospérité résident dans la différence et dans la complémentarité des uns et des autres. Le vieux système capitaliste et nos économies de marché occidentales avaient jusqu’alors cherché à standardiser et augmenter la productivité et la compétitivité en nous faisant faire des tâches aussi spécifiques que possible, de la manière la plus efficace. Dans ce nouveau monde, on est à nouveau invité à être quelqu’un. Cultiver notre créativité est une manière de rendre justice à notre condition humaine : aimer et créer est la pleine expression de notre être.
La société positive, collaborative et holacratique marque la fin d’une culture pyramidale et hiérarchique marquée par les égos, et laisse place à une civilisation de l’empathie, basée sur la coopération, l’agilité et l’intelligence collective en société.
[12] Voir propos de la philosophe Emile Hache dans l’article « Le rejet de la nature, un héritage des lumières », Rezomag n°1
[13] Associée à l’animalité, elle constituait l’inverse de ce qu’ils considéraient être la civilisation. Diderot la critiquait en ce qu’elle s’opposait à la liberté humaine. Quant à Hobbes, en parlant d’ « état de nature », il mettait le doigt sur une notion de barbarie. C’est pour cette raison que l’anthropologue Claude Levi-Strauss critiquait entre les lignes ces conceptions également incarnées par Descartes et son rationalisme « C’est d’une seule et même foulée que l’homme a commencé à tracer la frontière entre lui-même et les autres espèces vivantes et s’est ensuite trouvé amené à reporter cette frontière au sein de l’espèce humaine (…). Il faudrait plutôt poser au départ une sorte d’humilité principielle ; l’homme commençant par respecter toutes les formes de vie en dehors de la sienne, se mettrait à l’abri du risque de ne pas respecter toutes les formes de vie au sein de l’humanité même », déclarait-il Citation d’une interview de Claude Levi-Strauss dans une interview accordée au Monde datée du 21-22 janvier 1979.
[14] Cf les travaux de l’architecte belge Luc Schuiten « L’archiborescence »,
[15] Cf les travaux du Green Fab Lab de Valldaura, à Barcelone
[16] Ce système fonctionne grâce à la symbiose entre les poissons, les plantes et les bactéries présentes naturellement. Les déjections des poissons sont transformées en matières assimilables par les plantes qui, à leur tour, purifient l’eau.
[17] Cf La troisième révolution industrielle, comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Jeremy Rifkin, Les Liens qui libèrent, 2012
[18] L’art de s’inspirer de la nature pour concevoir des produits, des procédés ou des systèmes innovants.
[19] Cf Les travaux du MIT de Boston
[20] Des chercheurs de l’université de Sheffield, au Royaume-Uni, ont développé des cellules photovoltaïques en pérovskite qui pourraient s’appliquer à la manière d’une peinture en aérosol
[21] André Broessel, inventeur des sphères solaires « Rawlemon »
[22] « How to make something that makes (almost) anything , intitulé de la classe donnée au MIT de Boston par Neil Gershenfeld qui a lancé le mouvement des fab Labs avec des imprimantes 3D et des découpeuses laser.
[23] Vision inspirée des travaux de Vicente Guallart, ancien chef d’architecture de la ville de Barcelone qui a impulsé le mouvement vers les cilles autosuffisantes, et de membres de son équipe : Nuria Diaz, Ana Martinez, Tomas Diez.
[24] Cradle to cradle, créer et recycler à l’infini Michael Braungart et William McDonough, Farrar, Straus and Giroux, 2002
[25] Sauver le monde, vers une économie post-capitaliste, Michel Bauwens avec la collaboration de Jean Lievens, Les Liens qui libèrent, 2015
[26] Cf les recherches d’Isabelle Delannoy sur l’économie symbiotique
[27] cf Javier Creus, Fondateur du Think Tank Ideas for Change à Barcelone et membre de la communauté collaborative OuiShare dans l’article « L’économie du partage : lère de l’abondance » dans le dossier la Lettre de l’ecolonomie n°8 par V.Z.
[28] Étymologiquement, le terme « Holacratie » provient des mots grecs « Holos » qui désigne « une entité qui est à la fois un tout et une partie d’un tout » (exemple de holon : un atome ou une cellule vivante). Elle annonce la fin d’un modèle concurrentiel, et on dit d’elle qu’elle est le modèle d’organisation qui permet de répondre aux défis du 21ème siècle. Le management holacratique est dynamique et s’adapte aux changements internes et externes, il est transparent sur « qui décide quoi ». Son inventeur Brian Robertson, un consultant en Management, fondateur de Holocracy one et auteur d’une intervention sur TedX intitulée « pourquoi supprimer les boss et distribuer le pouvoir » a ainsi inspiré l’entreprise Zappos – une filiale d’Amazon- pour mettre en place le « zéro management ». Le but : se concentrer sur les missions à réaliser plus que sur les rôles et postes, promouvoir la responsabilité de chacun, et favoriser l’émergence de leaders capables d’identifier les tensions, distinguer les opportunités au sein de l’entreprise. Les intitulés de poste disparaissent, les salariés se voient assigner plusieurs rôles, chacun doté d’objectifs. Le plus souvent, ils appartiennent donc à plusieurs équipes.