Anti-humanismes du quotidien

Et si Vincent Glad[1], fondateur de la ligue du LOL, le #MeToo journalistique, était le Jérôme Kerviel du journalisme ? Devenu le symbole d’un système malade, lui et ses copains prennent pour tout le reste, mais d’autres aussi ont une responsabilité : tous ceux qui ont validé et participé à ce système cynique et malveillant, -hommes et femmes confondus-. Ceux qui savaient, ceux qui les ont embauchés, ceux qui ont liké, ceux qui les suivaient, ceux qui les ont érigés en stars à partir de rien. Ceux qui les ont formés, ceux qui les ont fait devenir des bêtes à concours, des bêtes à clics, des têtes à claques, ceux qui riaient à leur blague, ceux qui ont engendré le monstre. Briser le silence pour en finir avec la dictature des médiocres et des cyniques. Témoignage sur ce milieu journalistique et politique digne d’un roman de Houellebecq.

Il y a deux semaines j’ai reçu un coup de téléphone d’une amie de l’école de journalisme dont je n’avais plus de nouvelles depuis deux ans : « As-tu entendu parler de la ligue du LOL ? Tout ce qui est décrit correspond à ce que tu racontais il y a 10 ans, de ton expérience à 20 minutes.fr, c’est fou, ils sont en train de tous tomber ! ». Je voulais garder le silence, tout comme je l’ai gardé pendant l’affaire #Metoo. Cela fait des jours que je bouillonne de l’intérieur. Ces deux affaires sont incontestablement liées car elles sont le résultat d’un même cancer : la société capitaliste néolibérale et patriarcale. Elle engendre des monstres et fonctionne sur « l’extraction » (on prend sans redonner), la compétition, la perversion narcissique. Cette société fait autant souffrir la planète que les humains. Pendant tant d’années, elle a mis à mal la bienveillance, la vulnérabilité, l’empathie, la compassion surtout lorsque celle-ci rimait aussi avec intelligence, liberté, émotions, intuition, lenteur, spiritualité et j’ose le dire, puissance de l’énergie créatrice du féminin. Trop dangereux pour le pouvoir en place.

Nous sommes en 2008.

Après avoir passé un an chez Bolloré où je vis mes premiers désenchantements, (je le raconte dans complément d’enquête sur France 2), face à un journalisme complaisant avec le pouvoir, où la censure et le management par la peur étaient de rigueur et où l’investigation et la mise en perspective n’avaient pas leur place, j’ai décidé de partir. Je débarque à 20 minutes.fr, repérée par mes expériences dans le web journalisme et le journalisme politique. Je croyais avoir vécu le pire chez Bolloré, mais je me suis cognée à une autre forme de dictature : celle de l’immédiateté, du clic, de la « coolitude » et de la logique de bande.

Les racines du mal viennent de la déconnexion de la vie, des humains (et de la nature!)

20 minutes.fr. C’est là où j’ai rencontré Vincent Glad, le fondateur de la Ligue du LOL. Celle-ci n’existait pas encore -cette communauté de journalistes et de communicants trentenaires harcelait depuis 2009 des confrères sur les réseaux sociaux-.  L’attitude compétitive de son auteur annonçait déjà les prémices de ce monstre créé pour couper des têtes et éloigner quiconque se mettrait en travers de sa route. Nous sommes quelques uns, -hommes et femmes- à en avoir fait les frais. J’étais déjà obsédée par le besoin de mettre en perspective la complexité de la société et le monde de demain. Mais la culture de 20 minutes.fr -de cette époque là-, à laquelle il s’était accommodé ne le permettait pas vraiment : jusqu’à 20 sujets traités par jour, interdiction de dépasser les 3000 signes et les deux heures pour écrire un article de fond, pas de terrain. Des interviews, exclusivement téléphoniques, qui ne doivent pas durer trop longtemps. Là bas, j’ai vécu un journalisme hors-sol : le link journalisme ou le journalisme hypertextuel. Les journalistes web ne sortaient pas des rédactions, commentaient souvent les articles des autres journalistes. La bête de l’information continue se nourrissait à coup de dépêches AFP, s’auto-entretenait et se gaussait d’elle-même. Dans le fond, Vincent Glad et ses collègues portaient déjà peut-être les stigmates de ce système digitalisé, cachés derrière leur écran et leurs avatars. Je pense que les racines du mal viennent de là : la déconnexion de la réalité, du terrain, de la vie et des humains. Un journalisme qui aurait pu être fait par des robots. N’y a-t-il pas pire punition et plus horrible malheur que celui de se déconnecter de ses émotions et de son cœur ? Vincent ne serait-il pas une victime, lui aussi, du système qui l’a érigé en star avec ses followers sur Twitter, qui a mis sa sensibilité sous couvercle, qui a fait de lui un pantin sur le plateau du grand journal à Canal + ? Quel était son mérite à l’époque pour prendre la parole sur un plateau de TV ? Avoir été condamné en 2010 à verser un euro de dommages et intérêts pour avoir diffamé Jean-Marc Morandini ? Avoir accusé Michel Houellebecq d’avoir plagié Wikipedia ? Pourquoi met-on les projecteurs sur les cyniques alors qu’il existe tant de héros du quotidien ?

Les gens ont le pouvoir qu’on veut bien leur donner. Toute une machine s’est mise en branle et a donné son aval pour permettre à Vincent Glad et ses collègues d’exister, de participer à un brouhaha médiatique qui glorifie les non-événements et l’inexistant, qui n’a pas d’odeur, qui ne se mouille pas, qui n’a aucune conscience sur le nouveau monde qui arrive.

Le paysage politico-médiatique et financier a engendré ces enfants là, ces complices du vieux monde. Ce système privilégie la malice, préfère la rapidité à la prise de recul, la quantité à la qualité ; il adore les coquilles, aussi vides soient-elle, du moment que l’emballage vend du (faux) rêve, du mordant. Jusqu’à ce que celle-ci se brise et qu’on crée un nouvel anti-héros contemporain. Un autre Rastignac. J’ai de la compassion pour lui : il a été formé pour devenir qui il est, il n’est pas le seul à avoir été pris dans l’engrenage de la médiocrité et du goût du pouvoir. Il est un pur produit du capitalisme, du patriarcat et de la France des concours et des Elites.

« Avoir des états d’âme fait perdre tellement de temps dans un monde où l’optimiser est une vraie compétence ».

Vincent est intelligent, car efficace. Mais quand je l’ai connu, il avait l’intelligence des impassibles : il avait tout pour réussir dans ce milieu. Avoir des états d’âme fait perdre tellement de temps dans un monde où l’optimiser est une vraie compétence. 20 minutes.fr, comme 20 minutes pour « faire » un article, que dis-je, « bâtonner de la dépêche AFP ».

Vincent est un homme moderne : bête à concours, fraichement sorti de la meilleure école de journalisme, l’ESJ de Lille, cool, nonchalant mais rapide, cynique, connu pour ses chemises à carreaux, pro du babyfoot, accroc à Facebook et Twitter. Il a le LOL compulsif. Il parle en ashtag. Maitrise tous les codes. Il est validé par le système : le « mec » a tout compris. Il aurait pu être un héros de Beigbeder dans 99F. Comme un poisson dans l’eau, il n’a pas l’air de souffrir, lui, dans ce milieu sans pitié. Son humour ne me touche pas, il me fait peur. Il est moqueur. Son fonctionnement : les coups en douce, la technique du bouc émissaire, l’impudence et l’ironie. Un humour très français en somme (Il y a peu d’amour en France). A mon arrivée, je sens qu’il va être compliqué de m’intégrer dans ce groupe de journalistes web qui tient à marquer sa différence de culture avec ceux de la presse écrite. De l’extérieur, ils ont l’air d’une bande de copains sympas dans leur open space et leurs apéros du vendredi soir mais en réalité, ils sont dans un entre soi malsain autour de leur rédacteur en chef, Johan H.[2], un ancien de Libé, qui y retournera quelque temps plus tard. C’est là où la plupart se sont rencontrés et pour cause, c’est Johan H. qui a constitué sa fine équipe d’influenceurs du journalisme web. Tous sont cool et lisent les inrocks. Très peu font de sentiments. La méchanceté est branchée, le désenchantement « stylé », le cynisme non-négociable pour se faire des amis. C’est la génération Houellebecq. Vincent Glad, aussi adulte et responsable soit-il, paye pour beaucoup d’autres, dans ce milieu gangréné de journalistes qui se croient au dessus de la masse et exercent leur contre-pouvoir à coût de saillies verbales, puisqu’il ne leur reste plus que ça. Le journalisme de Françoise Giroud et d’Albert Camus est mort.

« Les journalistes ressemblaient à des traders »

Les différents témoignages sortis ces dernières semaines m’ont ravivé la mémoire dans les méthodes que j’ai observées -et subies- à l’époque : piques, isolement, moqueries, absence totale d’empathie, remarques qui font douter, opportunisme, coups bas, complicité avec les chefs (et les influenceurs) et « coolitude » affirmée, les rendant intouchables. Une situation devenue invivable. J’étais seule au milieu d’une meute ultra complice, qui avait bien compris que j’étais un mouton noir avec mes angles décalés et mes envies de presse magazine et autres documentaires dans des conditions dignes d’un Mac Do de l’info. Je le pense et je l’assume : nous n’étions pas un média, au sens le plus noble du terme, nous étions plutôt une agence de slogans d’informations. On nous poussait, nous pressait comme des citrons pour qu’on fasse du clic. A l’époque, c’est ce qui a fait la marque de fabrique de la rédaction en chef du quotidien en ligne. Une actualité en chassait une autre : il fallait poster, le plus possible. On nous assénait que nous devions être les premiers sur l’info, coûte que coûte. Les internautes et les actionnaires faisaient la loi. La salle de rédaction ressemblait à une salle de marché, les journalistes à des traders.

Du journalisme web au harcèlement banalisé et institutionnalisé

Toutes les méthodes étaient bonnes : des titres racoleurs aux articles sans fond mais sexy, l’important était le flux d’informations continu. On était en perpétuelle concurrence avec les autres sites web. On n’était plus un journal, on était une start-up. Notre rédaction ressemblait à une chaine de montage tayloriste au point qu’un sociologue était venu nous observer pour étudier le fonctionnement de ces nouveaux médias. On vivait une parcellisation des tâches journalistiques : plus on était méthodique, moins on perdait de temps, mieux c’était. Vincent Glad excellait dans cet exercice, il faut l’avouer. Il en est devenu le chouchou de Johan H. : c’est grâce à ce dernier, entre autres, qu’il a appris à maitriser les rouages 2.0. Johan H. a été prévenu quelques années plus tard des agissements de son protégé et n’y a pas prêté attention. Une des victimes de la ligue du LOL raconte l’avoir alerté lorsqu’il était rédacteur en chef de Slate, fin 2009, pour le prévenir du comportement de certains de ses journalistes. « On m’a expliqué qu’elle était fragile psychologiquement » a-t-il confié à l’Express. Selon elle, le cofondateur de slate.fr,  lui a dit « de laisser passer, que c’était du clash, que ça se tasserait. Il m’a assuré qu’il leur dirait d’arrêter mais ça a continué. » Il aurait même détenu une lettre dénonçant les agissements du fondateur. Mais ironie du sort, Johan H. a associé cette lettre à une calomnie : les lanceurs d’alerte sont passés pour des harceleurs.  Cela me met en colère et me fait penser aux femmes violées à qui l’on reproche de s’être mis une mini-jupe. C’est là toute la perversion narcissique de la situation : on reproche à l’autre ce qu’on lui fait subir.

Je n’ai travaillé que quatre mois à 20minutes.fr, à l’issue desquels j’ai averti la directrice de publication de ce que j’y vivais : une situation injuste, moralement violente et humiliante où, au delà des couleuvres du quotidien, j’ai peu à peu perdu les prérogatives de mon poste en faveur de… Vincent Glad, avant d’être remplacée par un de ses copains à la fin du CDD. Je n’avais pas de preuves écrites, je n’avais rien pour me défendre. Cette expérience m’a beaucoup appris : partir, c’est le plus salutaire face à une situation toxique. J’avais peur. Peur de subir une double peine : être « grillée » dans le métier. Cette bande là avait des connexions partout : Médiapart, Le Parisien, Libé, Sciences Po Paris, Slate, les Inrocks, Le Monde. Il valait mieux se taire. Partir sans broncher et essayer de se faire oublier. Une dépression et trois mois plus tard, je partais à Barcelone, pour me former au documentaire et lancer un magazine qui serait mon laboratoire de l’information et du monde de demain.

L’ironie du sort c’est que six ans plus tard, le 10 septembre 2014, ce passé refait surface sur Facebook, alors que je rentrais de Barcelone pour poursuivre ma collaboration avec We Demain et l’écriture de ma série documentaires Objectif 2050 où je cartographiais les futurs souhaitables. Nadia D., qui collabore pour Arte, Slate et Europe 1, ancienne collègue de 20 minutes.fr, (une des personnes de la bande de 2008), se fend d’un poste sur moi, pour le moins vulgaire et surtout puérile, sur son Facebook. Très peu digne d’une femme à l’encontre d’une autre femme. « Ce matin, j’ai croisé Valérie Zoydo, et elle avait la jupe coincée dans le slop. (j’ai rien dit). » Elle y taggait le fondateur de la ligue du LOL, ainsi que certains de ses copains de 20 minutes de l’époque, Emile J. (aujourd’hui CEO de Enjoy Agency, et conseiller municipal à Créteil), Pierre K. (rédacteur en chef numérique de RMC sport), Mathieu G. (journaliste à l’Equipe) ainsi que Maud D. une journaliste d’Europe 1 (C’est étonnant, je ne la connais pas). Et comble des élégances, sans oublier Julien M. (actuel Youtuber à succès) que je ne connais pas non plus : j’apprends qu’il m’a remplacée après mon non-renouvellement de CDD. On ne change pas une équipe qui gagne. C’est le festival du like et des commentaires plus injurieux les uns que les autres. Mon remplaçant réagit par une blague à connotation sexuelle lui aussi : « Coincée dans le slop de qui ? ». Emile J., aidé de son comparse Vincent Glad qui est allé dénicher un de mes papiers écrits pour le magazine We Demain sur mon personnage de Freelifeuse, ouvrent les hostilités avec des critiques à peine compréhensibles : « FREELIFE méditez moi ça ! (…) Elle danse sa vie avec violence, les jaloux vont maigrir. » « Vous êtes tellement méchants ! », s’exclame avec un Smiley, Alice A., (actuelle directrice exécutive de l’école de journalisme de Sciences Po Paris).

« Je suis rongé par la culpabilité. C’est quand même à elle que je dois ma place »

Julien M. surenchérit : « La vie est sous-dimensionnée pour elle, comme pour d’autres des postes de red chef et d’autres encore des jobs de Miss météo ». Je découvre sous la plume d’Emile J. que mon nom de famille est devenu un courant (!) : « Un passage qui me rappelle les heures les plus sombres du Zoydoïsme en conférence de rédaction du matin ». Une autre que je ne connais pas se demande si j’existe vraiment et me fait quand même l’honneur de me comparer à Breat Easton Ellis revisité par le Gorafi.

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Et puis, Julien M. de rétorquer avec ironie : « Je suis rongé par la culpabilité. C’est quand même à elle que je dois ma place ». Avant de remercier Vincent Glad en l’alpaguant : « Je lui dois mon CDD, je te dois mon CDI ». Et Christophe C., (actuel rédacteur en chef de Slate.fr, ex-co-rédacteur en chef du Grand Journal), de se flanquer d’un petit « Je ne sais pas qui c’est, mais je like ce mauvais esprit qui t’honore ». Mais le meilleur reste encore les saillies de mes deux ex-rédacteurs en chef dont la supposée sagesse du statut aurait dû les inviter à remettre un peu d’ordre au sein de la meute agitée. Clémence L. (rédactrice en chef du numérique des Echos) et Johan H. (un des fondateurs de la version française Slate, ex numéro « un bis » de Libération, actuellement chez Loopsider). « Je frémis encore en me souvenant du moment où je lui ai annoncé qu’elle ne resterait pas. « Ca ne se passera pas comme ça » Brrrr Le soir même la babysitter ne trouvait pas Agathe à la cour de récré, j’avais eu peur qu’elle l’ait enlevée » écrit Clémence L. . Johan H. de poursuivre quelques commentaires plus tard : « Pourquoi ce nom me file soudain des sueurs froides ??? ». Julien M. enchaîne : « Oui ok, Clémence, c’est aussi (surtout) à toi que je dois mon poste. Ça va, c’est fini l’ambiance Thévenoud là ? ». Et soudain Vincent Glad, comme ayant un souvenir de l’avenir,  s’inquiète avec capture d’écran à l’appui sur les personnes à même de pouvoir voir ce poste : « Hmmmm en espérant que tout le monde ait fait le ménage dans ses amis. » Et Nadia D. de rétorquer : « Putain Johan, t’es ami avec elle ». Réaction pour le moins inconsciente de Johan : « AHAHAHAHAHAHA ».

Tous ces gens sont au pouvoir. Aux rênes du pouvoir du vieux monde qui s’écroule. Je n’ai pas écrit la totalité des messages, ceux-ci suffisent à comprendre comment fonctionne ces réseaux : l’élimination de ceux qui dérangent, de ceux qu’ils ne considèrent pas comme faisant partie de leur caste. L’éviction, la cooptation et la protection mutuelle, histoire de se partager le pouvoir entre amis. Et dans cette bande, l’abus de pouvoir n’a pas de genre, ni de limites. « Heures sombres » ; « sueurs froides », « Frémir » « Imagination d’un enlèvement d’enfants » (!), là encore, on est dans le cas d’une projection typique de ce système pervers et manipulateur : on reproche à l’autre sa propre bassesse en effet miroir. Comment peut-on six ans plus tard, consacré du temps à démonter quelqu’un qu’on a seulement côtoyé quatre mois, qu’on a isolé, puis viré ?! Penser à moi et ne pas parvenir à m’oublier est me faire trop d’honneur. Pendant ce temps, je m’attelais de mon côté à vendre des papiers sur le journalisme positif et le monde post-carbone à des canards où je savais que nos chemins ne se croiseraient plus. Je n’ai critiqué personne, jamais bafoué publiquement. Je ne sais pas qui est le plus méchant d’entre nous, les faits aujourd’hui parlent d’eux même. « LOL ».

Et puis… Arrêtons de ne s’en prendre qu’aux hommes. Il y a deux semaines, Nadia D. se désolidarise de son vieux copain Vincent Glad, taggé dans ce post odieux du 10 septembre 2014. Et s’étonne, voire s’offusque : « La ligue du LOL était bien peignée, « influente », adulée. Et essentiellement composée de journalistes (mâles). On parle enfin de leurs « blagues », c’est à dire de la manière dont ils ont persécuté des gens pendant des années. HAHAHA, c’est rigolo un photomontage porno avec le visage d’une fille. Hihihi, hilarant la cabale (homophobe) contre un mec féministe. » Comment a-t-elle osé ? C’est donc ça son féminisme ? C’est donc ça le journalisme ?! N’en déplaise à Emile J. qui critiquait « ma science de l’angle » dans les fameux échanges, (une dernière petite remise en question de mes compétences pour la route) je ne me sens effectivement pas appartenir à cette caste-là. Et je m’en réjouis. Je ne partage pas cet ADN. Je suis AVEC et non pas CONTRE. Et si on sortait enfin de la dualité ? C’est mon fil conducteur depuis des années, je suis humaniste.

Sexisme et anti-humanisme du quotidien

Au delà de ce fait grave à mon sens, je dirais que le sexisme ou autre anti-humanisme font partie du quotidien. Diplômée de l’IPJ et de Sciences Po Lyon, j’ai débuté en 2006 comme pigiste à L’express, au service politique avant de participer au lancement de Direct Matin. Déjà à cette époque, j’entendais des expressions validées par tous, à l’Express ou dans la Tour Bolloré assez symptomatiques d’une société gangrénée : « promotion canapé ». Les postes à responsabilité étant tenus quasi exclusivement par des hommes, des bruits couraient régulièrement –faits avérés ou pas, à la limite peu importe, elles font bien ce qu’elles veulent – que certaines jeunes femmes avaient su tirer leur épingle du jeu pour décrocher un contrat. Ce genre de propos créait une ambiance de compétition et de détestation entre femmes : une embauche devenait suspecte, le talent était perçu comme secondaire, la place faisait l’objet d’un marchandage et d’une stratégie politique. Autre subterfuge de la société patriarcale : diviser pour mieux régner et empêcher toute sororité possible. Les femmes deviennent trop puissantes quand elles se relient entre elles. Quand ce ne sont pas des histoires de rumeurs de coucheries, il s’agit d’histoires d’alliances : repérer les influenceurs, soutenir le pouvoir, éliminer les électrons libres et (souvent) brillants. Partout où il y a du pouvoir, n’est-ce pas toujours un peu le même schéma ? Et surtout, mieux vaut pactiser avec les médiocres, comme à Koh Lanta. Malheur à ceux qui ont une intégrité, ne savent pas jouer aux échecs ou au poker. Ceux qui bénéficient de la protection du pouvoir en place sont souvent les plus tenaces, les moins sensibles, les plus stratégiques, les plus faux-cul, les pince sans rire. Les plus politiques.

Rejeter le féminin, c’est rejeter sa propre humanité

Si vous suivez mon regard, cette société a dénigré l’énergie du féminin dans ce qu’il incarne de plus beau, de plus puissant et de subversif. Attention, je tiens à préciser que les femmes n’ont pas le monopole du féminin : je connais beaucoup d’hommes qui ont intégré leur féminin. Ces hommes-là ont travaillé sur eux, ont un bel équilibre entre leurs énergies féminines et masculines. Ils protègent la femme sans l’écraser, l’aident à se révéler à elle-même, célèbrent sa puissance et sa souveraineté, car eux même sont puissants et souverains. Ces hommes-là sont les hommes du nouveau monde. Dans le vieux monde, ils ont autant souffert que moi, si ce n’est plus, car, en plus, on leur interdisait de pleurer, d’être vulnérables et sensibles.

« Pour en finir avec ce besoin impétueux de dominer, écraser, contrôler l’autre (et la planète) pour exister »

D’ailleurs, certaines femmes, à l’inverse, ont rejeté leur féminin : elles peuvent être pires que les hommes quand elles deviennent plus royalistes que le roi. Quand elles choisissent de se déguiser en homme, de tergiverser au niveau de leurs valeurs et de servir le pouvoir en place. Je ne souhaite plus garder le silence, car de ce silence naissent les maladies à l’échelle individuelle et collective. Je ne souhaite pas pour autant dénoncer, je souhaite juste témoigner. Pour en finir avec la dictature des petits, des médiocres et des cyniques. Pour en finir avec ces preneurs d’otages, qui instrumentalisent et font payer aux autres le lourd tribut de leur mal-être personnel, de leur manque de confiance en soi et ignorance d’eux-mêmes et du monde à venir. Pour en finir avec ce besoin impétueux de dominer, écraser, contrôler l’autre (et la planète) pour exister. Pour en finir avec les combats de coqs, et autres concours de celui qui a la plus grosse. Etre contre le féminin, c’est être contre l’Humain. On parle bien ici d’anti-humanistes à la petite semaine.

« Je ne suis pas une victime, je suis idéaliste ».

Depuis ma sortie de l’école de journalisme, quand je regarde avec de la hauteur, j’ai été exposée dans bon nombre de mes expériences professionnelles à du harcèlement sexuel ou moral. Je ne souhaite pas pour autant m’identifier à un statut de victime. Tomber dans la victimisation serait donner raison aux harceleurs, perdre sa souveraineté et sa puissance. C’est le système tout entier qu’il faut revoir. Faut-il pour autant fermer les yeux sur ces comportements pervers narcissiques cautionnés par une société qui l’est tout autant ?

Je ne suis pas une victime, je suis idéaliste. Et je prends des risques. Celui d’être une grande gueule, celui de remettre en question les pouvoirs en place, celui d’être libre, celui de ne pas adhérer aux diktats, au politiquement correct. Celui de ne pas participer aux moqueries, à la logique de meute, de ne pas être politique pour y arriver.

Je me suis exposée à des milieux où d’autres ont choisi de ne pas mettre le nez. J’étais révoltée, je voulais changer le monde. Je voulais faire ma part. Le féminin n’est pas cantonné à l’intériorité, il est puissant justement quand il relie l’intime au politique, l’invisible à la matière. J’ai choisi en conscience de fréquenter des lieux de pouvoir en préservant ma sensibilité, ma pureté. En restant connectée à mon cœur. En restant intègre. Je l’ai payé au prix fort. En conscience. Dans ma souveraineté.

Je ne suis pas une victime, car je suis toujours partie. Etre une victime serait être complice d’un système malade et être prisonnier de lui. Je m’en suis toujours émancipée. Et pour autant est-ce normal de se taire sur ce que j’ai fui ?

Si je prends encore plus de hauteur, je sais aujourd’hui pourquoi je suis passée par là. J’ai choisi depuis toutes ces années de raconter le changement de monde. Comment aider le vieux monde à transmuter si on n’a pas expérimenté les ombres de ce dernier du plus profond de ses entrailles ?

J’ai épousé, dansé avec lui pour mieux le quitter, pour apprendre à ETRE, malgré tout, vaille que vaille. Et je le remercie, car c’est grâce à lui et à ses enfants terribles, que j’apprends chaque jour, à passer du pouvoir à la puissance, de l’égo au coeur, du cynisme à l’empathie, du combat à la douceur, de la compétition à la coopération, de l’individualisme à l’altruisme, de la peur à l’amour. J’en ai fait ma ligne éditoriale et mon fil conducteur : « Appliquer cette nouvelle autonomie à tous les pans de la société, dans toutes ses interdépendances, dans tous ses interstices. Aimer. Etre libre, c’est choisir et s’engager ». A tous les niveaux de la société, écoles, particuliers, entreprises, Etat, nous sommes responsables de nos actes, et ceux-ci ont un impact sur le vivre ensemble, la justice sociale et climatique, les générations actuelles et futures. J’ai choisi de m’engager dans un monde de bienveillance, il n’est jamais trop tard pour que Vincent Glad et autres Dark Vador -tous secteurs confondus- rejoignent le navire et passent du côté lumineux de la force. Ils sont les bienvenus. Dans ce monde là, il n’y a pas d’exclus.

Valérie Zoydo

Pour aller plus loin :

Du JE au NOUS – L’intériorité citoyenne: le meilleur de soi au service de tous, par Thomas d’Ansembourg, éditions de l’Homme

La paix, ça s’apprend ! Thomas d’Ansembourg David Van Reybrouck, éditions Actes Sud

Tu es, donc je suis, une déclaration de dépendance, par Satish Kumar, Editions Belfond

[1] Le 10 février Vincent Glad, journaliste publiait sur Twitter « Je vous dois des explications. Et surtout des excuses ».

[2] Je choisis volontairement de ne pas mettre en entier le nom de famille des personnes, à l’exception de Vincent Glad qui a reconnu publiquement ses torts. Non pas qu’elles en deviennent méconnaissables, mais mon intention est davantage de remettre en question des actes que des personnes, des comportements plutôt que des identités. Dans cette histoire, je m’intéresse davantage aux auras des postes occupés et à l’impact sociétal que ceux-ci engendrent : plus on a de pouvoir, plus on a de comptes à rendre à la société. Heureusement, nous ne sommes pas que définis par nos actes, nous sommes et valons infiniment plus. Chacuns et chacunes. Dans ce contexte, je ne souhaite pas nuire à l’identité numérique de toutes ces personnes qui n’ont pas été mises à pied, ni condamnées par la justice.