Quand j’ai réalisé que la vie sur terre s’était développée pendant 4 milliards d’années et que seules les 200 dernières années avaient suffi à remettre en question nos écosystèmes vivants j’ai d’abord ressenti une profonde tristesse. J’étais perplexe à l’idée que ma génération, celle de mes parents, de mes grands-parents -et de cinq autres générations encore- avaient participé sans le savoir à la société de « l’obsolescence programmée ». Certes, celle-ci n’a commencé qu’au XXème siècle, mais l’avènement du capitalisme industriel au début du XIXème siècle avait créé les conditions pour une future production et consommation de masse. A cette époque, les usines se développaient, les paysans quittaient leurs campagnes pour rejoindre les villes et vendre leur force de travail à l’industrie. Les productions augmentaient, les produits se complexifiaient, les machines coutaient de plus en cher et les entreprises devenaient de plus en plus en grosses pour atteindre une taille critique et rentabiliser les investissements techniques.
Peu à peu se dessinaient les contours d’un modèle « carboné » et des déséquilibres qu’on lui connait : l’extraction minière, le développement de l’industrie pétrolière, la création d’entreprises multinationales pour alimenter l’Occident en matières premières énergétiques. En un siècle, le triomphe du capitalisme industriel a transformé une société traditionnelle, rurale et agricole, en une société urbaine et industrielle. Et dépendante du pétrole dans l’intégralité de son fonctionnement : de l’agriculture, à la production et transports des marchandises en passant par le design des villes.
C’est en 1932 que l’obsolescence programmée est défendue pour la première fois par l’américain Bernard London. Il voyait dans une obsolescence légalement obligatoire un moyen de régler la crise économique de l’époque. La pratique s’est généralisée dans les années 50’, notamment à travers les travaux du designer industriel Brooks Stevens. Il a introduit la notion de mode pour les objets du quotidien. Pour lui, il s’agissait « d’inculquer à l’acheteur le désir de posséder quelque chose d’un peu plus récent, un peu meilleur et un peu plus tôt que ce qui est nécessaire ». Une vision que j’ai plus tard retrouvée dans mes cours d’économie : la fameuse destruction créatrice de Joseph Schumpeter et ses notions de cycle d’innovation n’étaient ni plus ni moins de l’obsolescence programmée… Cette dernière a donc envahi tous les secteurs du quotidien : textile, électroménager, électronique, nouvelles technologies… Et est devenue presque culturelle.
J’ai moi-même grandi dans les années 80, bercée au rythme de la publicité, des longues listes au père Noël, de l’univers rose et néanmoins tout plastifié de Barbie, des stylo BIC, des téléviseurs, des bas en nylon qui filent, de la mode, puis des téléphones portables, des formules de « marketing », « trois pour le prix de deux », de « l’offre qui crée la demande ». Du tout jetable. Tels des drogués, nous avions besoin de notre « came ». Came qui au passage, veut à la fois dire en vieux français marchandise, camelote et drogue. Intéressant…
De quoi sommes-nous accrocs exactement ? Au pétrole bien sûr et aux ressources naturelles. Notre modèle d’obsolescence programmée est entièrement basé (pour le moment) sur l’économie de l’extraction (pétrole, gaz, métaux rares, eau, forêts etc). Une économie qui a eu tendance à oublier la rondeur de la Terre, sa circularité, ses cycles. Son fonctionnement. Son génie. Nous lui prenons sans cesse. Et nous ? Que lui re-donnons-nous ?
Dépasser l’obsolescence programmée constitue donc une étape clef pour le changement de paradigme à venir, pour réinventer un contrat social à l’échelle humaine et planétaire. Je me suis aperçue qu’il s’agit même d’une question centrale, hautement philosophique puisqu’elle résultait d’une invention de l’homme. Quel est le sens de nos vies humaines si notre modèle détruit la Terre ? Vivons-nous une fin de civilisation ?
De mon côté, j’ai opté pour ne pas être CONTRE le système, mais dépasser la dualité qu’il implique.
Je fonctionne avec à condition que les choses évoluent dans le sens de la vie et du vivant. C’est la vie elle-même qui a voulu que je naisse à cette époque, alors j’ai essayé de répondre à cette question : qu’est-ce que je vais faire de ma vie pour me rendre utile dans cette période de réinvention ? Qu’est ce que je vais faire AVEC la vie ? Pour le moment l’observe, je l’interroge, je l’expérimente et j’ai envie de raconter tout ce qui va dans le bon sens !
Pouvez-vous imaginer des activités économiques et des technologies qui utiliseraient ce que la nature nous fournit tout en le lui rendant et en améliorant ses services ? Le jardinage au lieu de la récolte ? L’intendance au lieu de la protection ?
Pouvez-vous imaginer un instant une empreinte positive, laisser la Terre dans un meilleur état que celui dans lequel nous l’avons trouvée ? Et bien cela n’est pas forcément de la science-fiction.
La transition est déjà en cours. Tandis que les gouvernements se révèlent assez lents à entrer dans ce mouvement, les entreprises quant à elles sont plus audacieuses et agiles, ont davantage de marges de manœuvre et peuvent décider plus rapidement d’expérimenter des choses jamais faites auparavant. De nouveaux modèles émergent, de l’économie symbiotique, à l’économie circulaire, l’économie du bien commun, les Fabs labs (laboratoire de fabrication avec des imprimantes 3D, le biomimétisme. Tous ces modèles concourent à la fin de l’obsolescence programmée et à un modèle inspiré du fonctionnement du vivant, voire de la permaculture, fondé sur le principe de l’autonomie et de l’interdépendance.
Car nous aussi, sommes la nature! La Technosphere, qui est l’écosystème urbain et industriel créé par l’homme, pourrait être vu comme un système naturel. Les trois principes de l’économie circulaire sont d’ailleurs inspirés du système de la nature : les déchets équivalent à de la nourriture, de l’énergie solaire et de la diversité. Son objectif est de faire en sorte que la présence humaine sur terre soit restitutive et bénéfique, et non pas juste « moins mauvaise ». Il s’agit de parier sur la création d’une empreinte positive en profitant du vivant, en ne contraignant pas l’activité humaine, mais en agissant au contraire en sa faveur pourvu que celle-ci soit positive. C’est la perspective d’utiliser tout le pouvoir créatif humain pour accompagner, améliorer, mettre en valeur la nature, en ne se contentant pas d’extraire ce qu’elle nous donne gratuitement. Revue de détail de la planète Positive, bon voyage !
Valérie Zoydo