LE NOUVEAU CONTRAT SOCIAL

Passer de gestion de la rareté à la gestion de l’abondance.

Dans les cours d’initiation à l’économie au lycée, on nous expliquait que le B-A BA du capitalisme reposait sur la gestion de la rareté. La loi de l’offre et de la demande nous invitait à comprendre que plus un bien était rare, plus il avait de la valeur. Nous n’avions pas encore reçu notre première fiche de paie que nous étions déjà formés à intégrer la notion de manque comme postulat de départ dans la vie. Nous étions invités à entrer dans la course folle de la soi-disant abondance financière, la compétition pour obtenir la reconnaissance du sacro-saint système, peu importe nos rêves, nos aspirations, et notre vision de la prospérité. Mais l’abondance, était-ce vraiment cela ? L’argent, ce roi, pour mieux nous assujettir se plaisait à nous faire croire que lui aussi était rare, et qu’il fallait accepter ses règles du jeu pour un jour avoir la chance de sentir l’odeur qu’il n’avait déjà plus. Nous étions ces enfants du capitalisme néolibéral. Nous étions la génération Mitterrand, élevée par des parents « trente glorieux ». Nous allions connaître la dérégulation des marchés financiers, les années Thatcher, Reagan. Et nous sommes probablement la dernière génération qui aura avalé à l’école un étrange paradoxe : un modèle qui spécule sur cette dite rareté – des ressources limitées- et qui fonctionne sur une croissance illimitée. En nous promettant la production et la consommation de masse, on nous a en réalité précipité dans les abîmes de la rareté. Et ce, en surexploitant les deux choses dont nous avons fini par réellement manquer : les ressources et notre temps. De taux de croissance à 5% en spéculations qui éclatent comme des bulles de savon, on nous a abreuvés à coup de « destructions créatrices » de Schumpeter et autres cycles de Kondratiev : tels des troubles bipolaires, il était « normal » que les économies capitalistes connaissent des périodes de croissance soutenue suivies de longues périodes de dépression. On nous a fait accepter sans trop broncher, que le capitalisme avait besoin de ces crises pour fonctionner, qui fallait « laissez faire » et « laissez passer ».

 

Oui, la gestion de la rareté -et peut-être même celle de la folie ! – rythme bel et bien nos vies. Et pendant ce temps-là, les portefeuilles boursiers continuent à enfler au même rythme que les ressources se réduisent comme une peau de chagrin. Au point qu’aujourd’hui, les marchés financiers spéculent sur les terres fertiles, symptôme qu’elles aussi, se raréfient dangereusement. Mais un modèle qui boursicote sur la terre sonne le glas de la fin d’un monde. Jean Paul Sartre, l’avait bien compris : selon lui, « toute l’aventure humaine … est une lutte acharnée contre la rareté ». La rareté est un manque qui détermine le destin matériel des individus et des groupes, une « détermination contingente de notre relation univoque à la matérialité ». La rareté est un type particulier du rapport de l’homme au monde. Étant une « relation humaine fondamentale », elle est aussi la condition originelle qui « fonde la possibilité de l’histoire humaine ». (Cf. J-P. Sartre Critique de la raison dialectique, tome I, Gallimard, 1960).

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Si la rareté fait partie donc de l’histoire humaine, cette dernière n’est pas pour autant dépourvue d’abondance. Certes, nos économies sont exsangues, mais nous autres humains possédons une richesse illimitée remise au goût du jour par la crise et la connectivité d’Internet. Nous étions assis sur un tas d’or et nous ne le savions pas. Tel l’alchimiste, nous venons de découvrir le trésor en revenant au point d’origine : il est en Nous. Mieux, il est ENTRE nous. Car ce qu’annonce l’économie collaborative, c’est la création et la gestion de l’abondance à travers la coopération entre individus, « un nouveau modèle de production et de consommation horizontales, qui s’appuie sur des communautés connectées », selon Rachel Bostman, l’auteure du livre Ce qui est à moi est à vous : la montée de la consommation collaborative. Nous échangeons des services sans passer forcément par l’intermédiation de l’argent, nous créons de la valeur en optimisant l’usage de biens qui jusqu’alors n’étaient destinés qu’à la propriété et l’usage individuels : notre appartement, notre voiture, notre perceuse, notre machine à laver le linge. Rien ne se perd, tout se partage. Je co-crée, tu cofinances, elle co-fabrique, nous co-voiturons, vous co-travaillez, ils co-inventent. En ayant recours à la production, la consommation ou au travail collaboratifs nous créons nous-même notre propre richesse, là où avant elle n’existait pas. La dualité producteur/consommateur cède la place à un citoyen qui, s’il le souhaite, est en mesure de reprendre son destin en main, en coopérant et entrant dans la civilisation de l’empathie. Celle que l’on appelle désormais la « génération Co » cesse de penser en terme de capitalisme ou de socialisme mais dans la capacité à coopérer. Alors, si le néolibéralisme a manifestement tué le capitalisme comme le communisme soviétique l’a fait vis à du communisme, l’économie collaborative parviendra-t-elle à inventer et asseoir un nouveau modèle de capitalisme coopératif et redistribué ? Sans disparaître, le capital pourrait néanmoins revêtir de nouvelles formes : au delà des monnaies conventionnelles, apparaissent les monnaies complémentaires, la confiance, l’intelligence collective et connectée, le temps, l’humain, le lien social, et même la e-réputation.

 

Valérie Zoydo