L’amour c’est quoi ?

L’année dernière, à l’occasion de la Saint Valentin, je me suis offerte un « short course » intitulé « Love is all » au Schumacher college en Angleterre, près de Totnès, pionnière des villes en transition. Satish Kumar, notre enseignant durant ce stage, l’affirme dans le titre de son livre : « Tu es donc je suis, une déclaration de dépendance ». Exit l’individualisme et la séparation. Il prône la connexion entre les êtres et leur milieu. Une déclaration de dépendance qui unit l’homme à ses rencontres, ses racines, son environnement. Tout, absolument tout, dans ce stage m’a ouvert le cœur. Je vais donc tâcher de vous résumer ce qui, depuis un an, m’aide au quotidien, me réchauffe le cœur quand je perds la foi.

Un dimanche d’hiver en 2018, je me suis rendue au château de Millemont pour rencontrer Satish Kumar, sur l’invitation d’Olivier Maurel. Y étaient conviés différents acteurs de l’économie sociale et solidaire, des membres du collectif « intériorité et changement », et surtout des anciens élèves du Schumacher college en Angleterre, sorte d’université du futur aux allures de pension à la Harry Potter ou autre cercle des poètes disparus. « Est-ce que quelqu’un aurait encore une dernière question ? » demande Satish à la fin du cercle l’après-midi où bon nombre de sujets avaient déjà été évoqués : l’écologie, le changement de monde, les relations toxiques… J’ai levé la main : « Satish, c’est quoi l’amour ? ». Devant la salle hilare, j’ai réalisé que j’étais un peu naïve d’espérer avoir une réponse à une question pareille à quelques minutes de la fin. Satish Kumar, cet ancien disciple de Gandhi, Krishnamurti et Martin Luther King s’est levé de sa chaise, s’est agenouillé aux pieds d’un des participants et l’a imploré : « Comment je peux t’aimer mieux ? ». Puis il s’est levé, s‘est à nouveau mis à genoux devant un autre et a réitéré sa question. Et ainsi de suite. Quand enfin il a regagné la chaise avec les yeux brillants d’un enfant et le sourire aux lèvres comme si tout était normal, il m’a soufflé : « Voilà, c’est ça, l’AMOUR. Si tu veux approfondir ce sujet, nous donnons pour la première fois un cours intitulé « Love is all » pendant trois jours à l’occasion de la Saint valentin ». « Il n’y a plus de places, la liste d’attente est longue, mais si tu veux, je te donne ma place », me murmure Marion qui me conforte dans l’idée que la vie nous veut vraiment du bien.

En attendant mon départ, la Saint-Valentin -comme chaque année- tourne au cauchemar (c’est un peu comme un dîner de Noël en famille, mais à deux : on se jure de ne pas vouloir le fêter, de ne pas aimer ça, on a hâte que ça passe, mais on cristallise quand même des espoirs.) Ma soirée se transforme en atelier Poupée Vaudou dans une soirée pour célibataires, (peu importe la durée du célibat, ça peut dater de deux heures) à planter des cure-dents dans une pomme de terre et y coller des plumes, des yeux, des moustaches, des paillettes -peu importe- pourvu d’atteindre l’objectif d’exorciser son ex. En quelques minutes, Mister patate se transforme en porc-épic. C’est un carnage. Je suis en paix. Presque.

L’amour de soi

Jeudi 15 février, voiture de Brian, mon logeur Airbnb, Totnès.

« Je me souviens de qui j’étais avant, caché derrière mon armure. Intouchable. Je n’avais aucun risque d’être blessé, ni touché », me confie Brian, ex-soixante-huitard, et de poursuivre : « Quand j’étais petit, j’ai souffert de harcèlement scolaire ». Il me partage alors son déclic, pour se connecter à son cœur « J’ai vu le film  les ailes du désir de Wim Wenders ». Il insiste sur le fait que je dois le voir. Pour lui, la clef réside dans le fait d’apprendre à se connaître pour se livrer au monde ». Ma formation semble déjà avoir commencé. Je pars alors le cœur léger pour trois jours à célébrer l’amour.

Dans la vieille bâtisse chargée d’histoire du Schumacher college je ressens l’enchantement des décors de contes pour enfants. La formation commence par un tour de paroles : « C’est quoi l’amour en un mot ? ». « L’amour c’est le pur potentiel, l’infinie créativité, la connexion, l’empathie, la paix, la compassion, l’acceptation, le service, l’ouverture, un champ de lumière, la chaleur, la libération de la peur, la grâce, la compréhension, l’unité, l’acceptation sans attente, la gentillesse, le mystère, l’abandon, la beauté… ».

Comment prend-on soin du lien, comment s’occupe-t-on de l’amour ? « L’amour est dans l’action, l’amour c’est quand l’amer devient doux, la douleur devient guérison… C’est juste ETRE soi à 100% », nous explique Satish.

Aimer c’est ce mélange subtil entre l’amour inconditionnel de soi et l’amour inconditionnel de l’autre. C’est ne pas oublier de rester au centre. C’est se dire aussi que ceux qui se comportent mal ont besoin d’encore plus d’amour.

L’amour c’est ne rien attendre. Si j’attends quelque chose, je limite le champ des possibles.

L’amour c’est observer. Les choses ne se passent pas toujours comme je l’avais prévu.

L’amour c’est prendre des risques, c’est embrasser la vie.

L’amour c’est faire de son mieux.

L’amour c’est accepter ses émotions, la colère et la peur sont humaines : on ne peut pas les éliminer.

L’amour c’est créer un plat avec les bons ingrédients et les bonnes mesures.

L’amour c’est accepter de ne peut pas être 100% pur : l’or à l’état pur est liquide.

L’amour c’est se dire qu’on ne manque de rien, que nous avons tout.

« Vous avez la capacité et le potentiel d’être humble… Cultivez, développez l’art d’aimer ! », s’enthousiasme Satish.

L’amour c’est Etre le plus ancré possible, tout en laissant les choses couler.

L’amour c’est se focaliser sur son Etre, se déconditionner, profiter de la vie.

L’amour est une forme de résistance : pour le capitalisme, les hommes sont des outils.

L’amour c’est se laisser aimer.

L’amour c’est s’engager sans attachement, ne pas ruminer, ne pas avoir d’inquiétude. Les choses viennent et partent. La vie est un voyage.

L’amour, c’est ne pas être attaché à son désir, c’est s’offrir sans attendre, ne pas faire de projections sur un quelconque résultat. L’attachement ressemble aux attentes : La clef c‘est de célébrer ce qui est. Etre détaché sans être désengagé.

L’amour c’est s’autoriser à Etre dans un entre deux (le Ma en japonais). Le ma signifie l’intervalle, l’espace, la durée, la distance. Non pas celle qui sépare, mais celle qui unit. Cette notion d’espace, ou d’espace-temps qui relie les choses et leur donne leur sens. Ce concept est enraciné dans la culture asiatique, comme l’illustre ce poème de Lao Tseu, philosophe chinois du VIe siècle av. J.-C. : « L’utilité de l’argile dans la fabrication des pots, Vient du creux laissé par son absence. Pour les japonais, être vide, c’est être « plein de rien ». (source : http://comprendrelesjaponais.blogspot.com/2010/06/le-ma-espace-qui-relie.html)

L‘amour c’est accepter de ne pas être aimé en retour.

L’amour c’est l’abandon de l’égo.

L’amour c’est dire oui. « La réponse à l’être aimé est toujours oui ».

L’amour c’est reconnaître son unicité, écrire son propre poème, jouer sa propre musique, trouver son harmonie.

L’amour c’est faire confiance à la vie, sans attente. Elle sait ce qu’elle fait. C’est la graine qui devient un arbre. C’est l’espérance.

L’amour c’est aider ceux qui ont peur, les encourager.

L’amour c’est inviter les autres à tomber amoureux des arbres, des oiseaux, de la vie et du vivant.

L’amour c’est remettre au sol ses émotions négatives. Et d’en faire un compost.

L’amour c’est être le jardinier de sa vie.

L’amour c’est embrasser tout ce qui est.

L’amour c’est accepter d’expérimenter parfois la souffrance : un corps sans douleurs n’est pas vivant. L’amour inclut le risque de ne pas être aimé en retour.

L’amour n’est pas logique. Haïssez le péché, pas le pécheur.

Pour autant, l’amour ne veut pas dire participer à une situation malveillante mais plutôt trouver la manière dont on peut inviter l’autre à la métamorphose.

L’amour ce n’est pas être une victime : la souveraineté et l’amour de soi sont le plus important.

L’amour c’est connaître la bonne distance.

L’amour c’est le chemin vers la compassion.

Quand le récipient n’est pas prêt à recevoir, quand la maison est fermée, l’amour c’est avoir l’intelligence de trouver la clef.

L’amour ce n’est pas imposer, ni exploiter.

L’amour c’est trouver et apprécier un moment de solitude, juste pour ETRE soi.

L’amour c’est considérer que toute la journée est un moment de pleine présence et de plein engagement.

L’amour c’est trouver sa propre méditation, sa particularité, son âme.

L’amour, c’est être un artiste. Nous sommes tous spéciaux, nous sommes tous des artistes.

L’amour c’est vivre comme un éternel amoureux.

L’amour c’est reconnaître que tout vient du sol et que tout doit y retourner. La Terre est un organisme vivant et spirituel : nous sommes UN.

L’amour c’est savoir que tout est poussière. La vie est poussière.

L’amour c’est ne pas aimer à partir de la partie blessée en moi.

L’amour c’est ETRE un orfèvre, c’est ETRE aussi comme le sol qui travaille jour et nuit sans rien attendre.

L’amour c’est la conscience en expansion, l’amour est dans TOUT.

L’amour, c’est servir l’humanité.

L’amour, c’est avoir le courage de s’aimer.

L’amour c’est arrêter de faire ce que l’on n’aime pas, c’est avoir la foi.

Le sens de la vie, c’est l’amour. C’est aimer et être aimé. Etre ouvert à la vie c’est s’ouvrir à l’amour et à l’abondance.

L’amour, c’est être passionnément amoureux de l’amour.

L’amour ce n’est pas confondre l’estime de soi et l’égo. L’ego attend qu’on le reconnaisse, agit pour impressionner. L’estime de soi se prépare à partager.

L’amour c’est l’esprit qui vit.

L’amour, c’est lorsque la coquille qui entoure la graine craque pour la laisser devenir un arbre.

L’amour, c’est faire partie d’un plus grand tableau.

L’amour, c’est le potentiel : nous sommes le microcosme dans le macrocosme.

L’amour c’est la connexion à l’univers : tout a sa propre musique, tout porte les germes du bien.

L’amour c’est le pardon qui permet de revenir à sa liberté sacrée.

L’amour c’est la vérité et la réconciliation.

L’amour c’est laisser sur terre une empreinte de lumière.

Priez pour l’amour. Marchez pour l’amour. Les guerres naissent de la peur, la paix nait de l’amour. Priez, ne demandez pas.

La confiance est le fil conducteur. Les miracles ont lieu. Les difficultés rendent plus forts, et nous font expérimenter le cœur. Les gens ordinaires donnent tellement d’amour…

L’amour c’est avoir l’attitude d’un pèlerin, où que je sois.

S’il y a une condition, ce n’est pas de l’amour.

L’amour c’est jardiner son esprit, c’est célébrer, c’est renouveler chaque jour ses pensées, ses sentiments, ses mots : « Pardonne-moi, Merci, Je t’aime, Qu’est ce que je peux faire pour toi ? ».

L’amour est comme la musique et le corps comme un instrument. Il est sacré.

L’amour c’est quand le manifeste et le non-manifesté se rejoignent.

L’amour c’est quand le silence, parfois, s’avère plus approprié que les mots.

Utilisez vos mots seulement s’ils en valent la peine. Ils peuvent être tout aussi doux qu’amers. Soyez conscients de votre parole.

L’amour c’est accepter la perte. La tristesse aussi passera.

L’amour, c’est guérir la maladie.

L’amour c’est vivre avec le chagrin, un cœur mort ne ressent rien.

L’amour n’est pas à blâmer, il est une opportunité pour me transformer.

L’amour c’est l’engagement, le dévouement. L’humilité est la base de l’amour.

L’amour c’est entrer dans la danse de l’univers, c’est la trans-en-danse.

L’amour est la sécurité. Dans l’attachement et la possession, il n’y aucune sécurité, juste de l’ego.

L’amour n’a pas de possession, celle-ci est une illusion. L’amour est un cadeau.

L’amour est comme le temps, il est abondant : vous avez tout car vous êtes TOUT. Tout est un cadeau : l’œuvre de Van Gogh, de Picasso, la nourriture !

L’amour c’est la vulnérabilité et la douceur, cela ne se casse pas. La rigidité, elle, se brise.

La vulnérabilité est votre force.

En rentrant de la formation, j’ai repensé à ce que Brian m’avait recommandé, et je me suis précipitée pour regarder les ailes du désir. C’est en voyant la scène de la fin, que j’ai compris.

Damiel « sait » qu’il va La rencontrer cette nuit.

La rencontre « hasard » a lieu dans un bar. Il a commandé un verre de vin blanc. Lorsqu’elle s’approche sans bruit jusqu’à ses côtés, il se tourne vers elle et lui offre son verre. Elle boit une gorgée puis le repousse doucement quand il s’approche et elle parle :

« Il faut que ce soit sérieux un jour. J’étais souvent seule. Je n’ai jamais vécu seule pourtant. Quand j’étais avec quelqu’un, j’étais souvent heureuse, et en même temps je prenais tout pour des hasards. Ces gens étaient mes parents, mais d’autres aussi auraient pu l’être. Pourquoi ce garçon aux yeux marron était-il mon frère plutôt que le garçon aux yeux verts que je voyais passer sur le quai d’en face. La fille du chauffeur de taxi était mon amie et de la même façon j’aurais aussi bien pu entourer la tête d’un cheval. J’étais avec un homme, amoureuse de lui et j’aurais pu sans hésiter le laisser là et poursuivre ma route avec cet inconnu que nous venions juste de croiser dans la rue. Regarde-moi, Damiel. Donne moi la main Damiel. Non, ne me donne pas la main, ne me regarde pas. Je crois que c’est la nouvelle lune ce soir, quelle nuit tranquille. Il n’y aura pas de sang versé dans toute la ville. Je n’ai jamais joué la comédie à quelqu’un, mais malgré tout je n’ai jamais ouvert les yeux et pensé « là c’est sérieux ».  Ça devient enfin sérieux. C’est comme ça que les années ont passé. Moi seule étais-je si peu sérieuse ? le temps est-il si peu sérieux ? Je n’ai jamais été solitaire, que je sois seule ou bien avec d’autres, mais j’aurais aimé être enfin solitaire. Ça veut dire ça la solitude : je suis moi toute entière. Là, j’ai le droit de le dire car cette nuit je suis solitaire enfin. Mais il faut en finir avec le hasard maintenant. Nouvelle lune de la décision. Je ne sais pas si ça peut exister ce qu’on appelle le destin mais je sais que la décision ça existe. Décide-toi. Maintenant c’est nous le temps. Ce n’est pas que la ville, c’est la terre entière qui va s’associer à notre décision cette nuit. Toi et moi nous sommes plus que deux à partir d’aujourd’hui ; nous représentons quelque chose. Nous voici sur la grande place de l’humanité et sur cette place presse la foule de ceux qui rêvent à la même chose que nous, et pour cette foule nous déterminons le jeu. Je suis prête moi, alors maintenant c’est à toi. C’est toi qui a en main le jeu. C’est tout. Ou rien. Tu as besoin de moi. Tu vas avoir besoin de moi. Il n’y a pas de plus grande histoire que celle que nous vivons, de l’homme et de la femme. Ça va être une histoire de géant, invisible, transmissible. Ce sera une histoire de nouveaux ancêtres. Regarde : mes yeux, ils sont l’image de la nécessité, la destinée de tous sur la place. La nuit dernière, un inconnu m’est apparu en rêve : mon homme. Je ne pouvais être solitaire qu’avec lui, m’ouvrir pour lui seul, m’ouvrir toute, toute à lui, le laisser entrer en moi tout entier et l’emmener dans le labyrinthe du bonheur et de notre joie. Je sais…. que c’est toi ».

A présent, c’est Damiel qui se parle, les yeux levés vers Marion dansant avec la corde qu’il tient :

« Quelque chose est arrivé, qui continue d’arriver et qui me lie. C’était vrai dans la nuit et c’est vrai au grand jour, encore plus maintenant. Qui était qui ? j’étais en elle et elle autour de moi. Qui au monde peut affirmer qu’il a été vraiment ensemble avec un autre être humain. Moi je suis ensemble. Ce n’est pas un enfant mortel qui a été conçu, c’est une image commune, immortelle. J’ai appris cette nuit à m’émerveiller, cette nuit elle est venue pour me ramener chez moi et j’ai trouvé ce chez-moi. Il était une fois, il était l’unique fois, donc il sera. L’image que nous avons conçue accompagnera ma mort. J’aurai vécu à l’intérieur de cette image. Ce n’est que l’étonnement devant nous deux, l’étonnement devant l’homme et la femme qui a fait de moi un être humain. Moi, je sais maintenant ce qu’aucun ange ne sait »

Dialogues de Wim Wenders

Valérie Zoydo avec l’enseignement de Satish Kumar.