Intériorité citoyenne

L’outil de la CNV -pour les grands comme pour les petits- est un outil pour se transformer de l’intérieur et par conséquent la société dans son ensemble, à travers l’auto-empathie, l’expression honnête, et l’écoute emphatique. Je suis donc allée me former « à l’intériorité citoyenne » aux côtés de Thomas d’Ansembourg, sur le thème de « l’élan de vie ».

Assenois, mai 2016, 16h30 : Le crumble de Cécile est posé sur la table du vestibule pour le goûter. Certains reviennent d’une marche silencieuse dans la forêt. D’autres ont préféré rester dans le salon à papoter sur un air d’Eric Satie avant que les exercices de Communication Non-Violente ne reprennent. Cécile aussi s’est formée en « CNV ». Aujourd’hui, ce qui la rend heureuse, c’est la cuisine. Elle nous concocte des petits plats, matin, midi et soir, avec option végétarienne si besoin. « Pas de stage sans Cécile ! » rit Thomas d’Ansembourg, notre formateur et auteur de « Cessez d’être gentil, soyez vrai ! » : il nous reçoit dans son château en Belgique à l’occasion de notre deuxième formation. En mars dernier, nous étions un groupe de 25 pendant 5 jours à plein temps pour appliquer les principes de l’inventeur de ce processus : Marshall B. Rosenberg. C’est auprès de lui que Thomas s’est formé au début des années 90. Son approche favorise la résolution de conflits intérieurs et extérieurs.

 

Depuis 35 ans la CNV est appliquée dans différents lieux du monde, y compris des zones de conflit et de violence. Elle propose une trame avec l’intention de maintenir le dialogue ouvert ; les solutions aux conflits émergent grâce à l’authenticité des échanges. L’idée : apprendre à rentrer à l’intérieur de soi, pour mieux s’ouvrir à l’autre. Se connecter à ses sentiments et aux besoins qui s’y cachent. Car des besoins, nous en avons TOUS. C’est ce qui nous relie dans notre humanité. Etre aimé, être reconnu, avoir sa place, avoir un sentiment d’appartenance à un groupe, se réaliser, goûter l’intensité de la vie… Ce qui diffère d’un individu à l’autre, c’est la stratégie pour les satisfaire. J’ai fait sciences Po car je cherchais la reconnaissance de mon Père. En réalité, au plus profond de moi, j’avais envie de faire du théâtre, réaliser des films, les beaux arts, du flamenco, du tango, voyager, VIVRE. J’ai mis des années à oser m’écouter pleinement, désapprendre pour mieux réapprendre. D’autres deviennent dépressifs par loyauté ou solidarité –inconsciente- d’un parent qui souffre des mêmes maux. Beaucoup de choses ne nous appartiennent pas… et pourtant nous les portons en nous. D’autres encore choisissent de s’engager en Syrie, car ils sont persuadés de changer le monde et de satisfaire leur besoin de trouver leur place. Mais tous, sans exception, quels que soient nos choix, nos errances, nos erreurs, nos colères, nous cherchons à être aimé. Parfois en faisant fausse route.

 

Personnellement, j’ai souvent ressenti une profonde colère en entendant des « Il faut que », des « Tu dois », des « jamais » ou des « toujours ». «Tu es trop sensible, il faut t’endurcir », « Il faut être salariée d’une grande entreprise ! », « Tu as toujours été une rêveuse, il faut avoir les pieds sur terre ! » ! C’est ce que Thomas d’Ansembourg, appelle le « Tu » qui tue. Ces formules entendues dès l’enfance, à la maison, à l’école, plus tard au travail, m’enfermaient dans des situations ou des contextes que je n’avais moi-même pas décidés. Derrière le « Il faut que », il y a souvent quelqu’un –une personne ou une institution- qui essaie de choisir à ma place. Et si je ne suis pas connectée à mes sentiments et à mes besoins, comment être autonome dans mes choix ? « La liberté commence par le constat de l’enfer-me-ment »,  nous explique Thomas.

 

L’enfermement c’est parfois moi qui me l’impose, à tort. A coups de fausses croyances, de peurs, de manque d’écoute empathique. Etre libre et autonome, c’est être responsable de mes sentiments pour mieux entrer en communication avec l’autre : « Nous ressentons par nature », nous a rappelé Thomas d’Ansembourg, Après les attentats du 13 novembre 2015, il m’est apparu évident que je devais peut-être moi aussi arrêter les « Il faut que » : « il faut changer le monde », « Il faut manger bio », « il faut être gentil », « il faut me comprendre », il faut, il faut, il faut. J’ai pensé que la CNV était un bon outil pour guérir l’ayatollah en moi : moi aussi j’étais pleine de certitude, et moi aussi j’engendrais de la violence en étant une con(ne)vaincue.

 

17 heures : Thomas annonce le début de l’atelier par un coup de maillet sur le bord de son bol tibétain. Comme chaque jour, il impulse un tour de « comment je me sens ? », « comment je me sens quand j’exprime comment je me sens ? », et « comment je me sens quand je m’exprime et que l’autre m’écoute ? ». Le langage CNV détone par rapport à la violence verbale ordinaire tant il invite au respect de l’autre dans son autonomie et son intégrité. « Est-ce que tu serais d’accord si je reformule ce que tu viens de me dire ? ». Je souris en pensant à l’air circonspect de ma mère quand je lui raconte mes histoires. Je devine ses pensées : « votre génération se regarde trop le nombril » ou encore « T’es sure que ce n’est pas une secte ?! ». Je comprends. Pourtant, c’est tout l’inverse. Je continue à apprendre à m’aimer pour mieux aimer l’autre. Et cela m’affranchit. L’exercice n’est pourtant pas aisé pour moi, malgré mon métier d’écriture : mettre des mots sur le sensible,  identifier des sentiments agréables ou désagréables s’apprend et peut devenir même une hygiène de vie. Cela me renseigne au jour le jour sur des besoins satisfaits ou insatisfaits : le lâcher prise, la liberté, l’affirmation de soi, la confiance, le sens de sa place, le respect de soi, de son rythme, de ses valeurs, l’authenticité, l’amour, la co-création sont des exemples de besoins parmi la longue liste offerte en début de stage.

 

17h30 : Après avoir travaillé la veille sur nos rêves, aujourd’hui c’est au tour du « Oui… mais… » : nous allons faire parler notre « chacal intérieur » dans un jeu des trois chaises. En CNV, on convoque deux personnages : la girafe et le chacal. La girafe, en raison de son long cou est le mammifère au cœur le plus gros, capable de faire influer le sang au cerveau. La girafe est au dessus de tout, prend de la hauteur. Le chacal, lui, ne voit pas au dessus des herbes, il est représenté comme un animal agressif, fourbe, avec la critique facile. « Le chacal est une girafe qui ne sait pas communiquer, il n’a pas conscience des besoins », nous explique Thomas. Face à la girafe qui représente nos rêves, notre élan de vie, le chacal incarne cette voix « rabat- joie », notre petit saboteur intérieur. Nous allons passer d’une chaise à l’autre avec des petites marionnettes pour mieux nous aider à entrer en empathie avec chacun des personnages. Et puis, il y a la troisième chaise, celle du sage, pour combiner l’élan et la sagesse. « J’ai envie de continuer à avoir une vie de bohême et de voyages, danser, rire, faire du théâtre, et peut-être même vivre dans un éco-village dans le sud, au bord de la mer ou en pleine nature» dit l’élan de vie. Derrière cette envie se cache un besoin de jeu, de joie, de liberté, de lumière, de respiration, de créativité et de sensibilité… « Mais… c’est trop hippie ! » répond le chacal, et de poursuivre : « ça ne me paraît pas réaliste ! Il faut se marier, avoir des enfants et trouver un emploi salarié comme tout le monde ! La vie n’est pas une fête perpétuelle ! ». Le chacal mérite pourtant d’être écouté : dans le fond il est là pour nous aider, car il met le doigt sur un besoin d’ancrage, de repère, un besoin de sécurité affective et matérielle. « La plupart d’entre nous sommes partagés entre ces deux besoins : la liberté et la sécurité. Il faut juste rassurer le chacal », nous conseille Thomas. « Petit chacal serais-tu rassuré si je te disais que grâce à nos talents, et à tout ce que nous aimons faire, nous sommes à l’abri du besoin car la vie est de notre côté si nous sommes alignés sur notre essence ? ». « Mouais, bof. Je me tape quand même des sacrés flips avec tes conneries de freelifeuse nomade ». « Petit chacal, aurais-tu besoin que je te rappelle que nous nous en sommes toujours sortis toi et moi, que nous avons rencontrés des gens extraordinaires, et ce, dans la joie et la bonne humeur ? » « AHAHA ! Sans dec ?! T’as quand même la larme facile Girafe ». « Petit Chacal aurais tu besoin d’être rassuré sur le fait que je pleure car je suis vivante et sensible et que ça n’est pas forcément parce que je suis triste ? Est-ce que tu te sens menacé par quelque chose ? Aurais-tu besoin qu’on prenne le temps de réfléchir avant de repartir dans une autre aventure ou un autre pays ? (NB : mettre trois cuillères d’empathie vis à vis du chacal)  » « Ouais, d’ac, enfin en attendant, t’es toujours pas casée » répond le Chacal. Et le sage de conclure : « Chacal, je te propose qu’ensemble, nous fassions face à ce qui se présente à nous en écoutant notre cœur comme nous l’avons toujours fait, et que nous restions fidèles à nos valeurs. La joie sera notre boussole. Et de cette façon, la vie nous offrira une sécurité affective et matérielle, tu es d’accord ? ». « OUI ».

 

Valérie Zoydo