ETRE au monde avec le tantra

C’est un voyage des sens que j’ai entrepris en explorant le tantra qui regroupe un ensemble de pratiques autour du développement de la conscience et de la libération de l’énergie, de l‘élan de vie et créateur.

7 septembre 2016, 20h16, Facebook : « Chers amis, pour mon prochain reportage j’aurais besoin d’infos sur le Tantra comme outil de connaissance de soi et de l’autre, auriez-vous des expériences à partager ? ». En postant ce message, je ne m’attendais pas à grand chose, à part vérifier une intuition : face aux robots et au virtuel, l’être humain va avoir besoin de revenir à son corps et aux sens pour toucher de plus près son essence. Une cinquantaine de commentaires, de messages privés, de « j’adore », de « wouah » et autre « j’aime » plus tard, le tantra semble brûler les lèvres de mon réseau de créatifs culturels. Dans ce monde parallèle, s’aventurent déjà des acteurs de l’écologie, du numérique, de l’économie sociale et solidaire, des philosophes, des praticiens de médecine douces. Surprise, j’avais comme a priori que cette pratique était l’apanage d’ex soixante-huitards, laissant libre court à une sexualité débridée et mystique. Il ne s’agit pas que de sexe. Loin de là. Il s’agirait surtout d’amour universel. « Tan signifie tisser, sentir la structure de son corps comme un ensemble de fils à délier et à relier. (…) Tra, c’est être avec l’autre et l’univers. En prenant pleinement conscience de soi, de sa propre constitution, il est alors possible de créer du lien, de percevoir, cette relation intime qui nous lie avec l’environnement, la Nature, les autres, et l’Univers », écrit Nathalie Vieyra, dans Lâchez prise, Promenades au pays de la conscience. Bienvenue dans le territoire sacré du corps, du cœur et de l’esprit.

 

Facebook, 7 septembre 20h48 : « Bonjour Valérie Zoydo, pour débuter, les écrits de Daniel Odier sont excellents et notamment son fameux « Tantra Yoga ». Après cela, je t’invite à découvrir le « livre des secrets », à mon sens l’un des meilleurs ouvrages sur le sujet. (De B. S. Rajneesh) Ca sera par ailleurs un plaisir d’échanger avec toi sur le sujet à l’occasion », m’écrit le très aimable Julien Bouret que je ne connais pas encore. « Chère Valérie, de Daniel Odier il y a aussi  » Désirs, passions et spiritualité », qui est un excellent livre. Sinon appelle moi pour que je te raconte de vive voix. Amitiés, Patrick Viveret. (Philosophe, auteur notamment de La Cause Humaine, du bon usage de la fin d’un monde, éditions Les Liens qui Libèrent, mai 2012). « Après m’être investi dans les monnaies complémentaires, je me suis intéressé au Tantra, me raconte Etienne Hayem, co-fondateur du projet Symba, une monnaie locale pour la région Île de France. J’ai créé l’association Power & Love avec Julie Caunes pour proposer des stages sur la réconciliation du Féminin-Masculin. On dit souvent que l’énergie de l’argent est liée au premier Chakra, l’énergie sexuelle. En voulant faire la paix en moi, je voulais aussi la faire avec l’argent ». Cécile Denis, proche de Thomas d’Ansembourg auprès de qui je me suis formée en communication non-violente au château d’Assenois (We Demain n°15) me recommande Diane Bellego. « Elle vient deux fois par an à Assenois. Elle est pour moi une référence, une femme enracinée qui incarne ce qu’elle enseigne ». Emmanuelle Mothe, co-fondatrice de « l’agence du silence intérieur » partage cette recommandation avant d’ajouter : « Au salon Zen en octobre, tu vas pouvoir faire ton marché, ça grouille, c’est très tendance, un peu comme le gluten free ». Sans oublier la dizaine d’ouvrages, et autres noms préconisés : Marisa Ortolan, Jacques Ferber, Laurent Lacoste, Francesca Krim, Dominique Lussan etc. Mais attention : qu’il soit blanc, rouge ou noir, on peut trouver aussi tout et n’importe quoi dans le Tantra. Parce qu’il a affaire avec l’humain, s’y cristallise le meilleur comme le pire, l’ombre et la lumière. « Méfie-toi des organisations néo-tantra », m’a t-on conseillé, « Tout ce qui oblige à la nudité et qui n’est pas cadré clairement : oublie ! », ou encore : « il peut avoir y avoir des abus, venant d’hommes comme de femmes ». Cela dit, juger n’est pas tantrique, me direz-vous. Comme le précisent Laurence Heitzmann et Laurent Lacoste sur leur site web Silent mind Tantra « Le Tantra est expérimental et cherche la non-dualité. Les notions de bien et de mal y disparaissent, seule compte l’expérience et ce qu’elle nous enseigne ». Et bien dansons maintenant. Les rendez-vous sont pris : Diane Bellego anime une soirée de groupe à Romainville le 28 septembre sur le thème de la réconciliation, puis massage tantrique avec Joëlle Charles ou Nathalie Vieyra. En attendant, juste à côté de chez moi, se donnent le mardi soir et le samedi matin des cours de Yoga et de danse tantriques.

 

13 septembre, paris 20ème, 20 heures, Centre Bhagvati  : « Bhagvati, c’est beau, ça veut dire quoi ? », je demande à la professeure, ancienne danseuse contemporaine. « Nous sommes un ». « Et pour se changer, le vestiaire femmes, c’est par où ? « C’est le même pour tout le monde». Contrairement à ce que certains imaginent, le cours se pratique habillé,  mais avec un rapport au corps décomplexé. Le Yoga Tantra invite à libérer l’énergie dans tout le corps, de bas en haut, à travers les 7 chakras (périnée, sacrum, plexus solaire, cœur, gorge, troisième œil, couronne) et surtout, il se pratique à deux. Certaines postures sont comme dans les autres formes de yoga, associées à une respiration rythmée. On utilise toutefois des positions particulières des mains : les mudras. Alors que je sens des fourmis me parcourir les cuisses et les mollets, je vois Bhagvati trembler, gigoter, fermer les yeux, respirer profondément, et dodeliner encore. « C’est ma kundalini ! » nous dit-elle. Il s’agit de l’énergie primordiale, très puissante, située au bas de la colonne vertébrale, dans la région du sacrum. Il serait rare d’expérimenter des montées de kundalini sans être « éveillé » et avoir la plus haute conscience de soi. Et pour ceux qui n’y sont pas préparés -m’a mis en garde une amie yogie de Barcelone- mieux vaut s’abstenir car une montée de kundalini dans un corps « fermé », peut être dangereuse si l’énergie se bloque.

 

17 septembre, centre Bhagvati, 10 h du matin. Cours de médiation en mouvement/ Osho et danse tantrique : « Il n’y a personne », se désole Xavier le photographe de We Demain. «  ça doit être l’effet de la pleine lune », s’étonne Bhagvati. Deux autres femmes arrivent. Toujours aucun homme. Dans la tradition tantrique, l’idée est de réunir Shiva et Shakti, des divinités qui symbolisent les deux pôles d’un même tout. Shiva symbolise le principe masculin, la conscience, représenté en train de danser au milieu des flammes, avec quatre bras en mouvement, relié aux éléments de l’univers. Il est le maitre de la danse. Shakti représente le féminin, la déesse mère, l’énergie pure, elle révèle à la conscience son pouvoir de création. Leur union consiste à « Réunifier le profane et le sacré, le corps et l’esprit », selon le livre de Nathalie Vieyra. Xavier s’impatiente et commence à ranger ses affaires en silence. «  Que fais-tu ? » je l’interroge. « Le reportage est compromis, non ? » « Attends, on va trouver une solution, gérons ça de façon tantrique, ensemble ». Lui, ne voit pas d’issue. « Oh lala, je sens de la tension, vite, vite ! Récitons un mantra ! » s’active Bhagvati. Quelques « inspire-expire » plus tard, nous décidons de danser entre femmes, puisqu’après tout, nous avons tous du masculin et du féminin en nous. L’exercice consiste à improviser en ayant un contact fort avec l’autre, se toucher, jouer, interagir, guidée, être guidée. J’entame une danse avec Brigitte, finis par lâcher prise, et me laisse porter par le jeu, l’énergie et la sensualité, le corps exulte, se lève, tombe, bascule, s’élève à nouveau. J’interagis tantôt avec la petite fille, la sœur, la femme, la féline et puis elle guide et devient plus masculine. Je poursuis la danse avec Bhagvati, dont le but est de nous inviter à « danser avec son cœur et avec son âme ».

Lundi 19 septembre, 16 heures, au téléphone : les créneaux horaires donnés par Joëlle Charles ne coïncident pas avec les miens. Mon reportage patauge. J’échange sur le massage tantrique, et elle me dit : « Vous dansez le tango ? Alors, vous êtes déjà tantrique ». Elle insiste sur le fait que « ce massage n’a aucun caractère sexuel bien qu’utilisant l’énergie sexuelle ». En attendant, cette histoire de nudité devant le photographe me taraude. Si elle n’est pas obligatoire, elle est recommandée. « Mais, rassurez-moi, vous ne posez pas votre main sur le sexe, tout de même ? » « Si ». J’ai ensuite Nathalie Vieyra au bout du fil, qui me parle de voyage intérieur, de respiration, d’orgasme énergétique, d’abandon, de pleine présence à soi, d’expérience transcendantale. Et puis, le seul jour disponible tombe sur le début de mon cycle menstruel. « Bonsoir Valérie, entendu. Mais en tant que femme tantrique je me dois de vous dire qu’avoir ses règles n’empêche pas de se faire masser » m’écrit-elle sur ma messagerie Facebook. « Merci Nathalie j’entends. Je suis finalement partie sur un coup de tête en reportage au festival de tantra-tango à Ibiza. Au fait, pour vous, c’est quoi une femme tantrique ? » « C’est une femme libérée de ses peurs, ses tabous, ses pensées limitantes. Consciente de la puissance incarnée dans son ancrage (…) elle initie par sa pleine présence les personnes qu’elle aime à la beauté de la vie dans sa globalité ».

 

Jeudi 22 septembre, 10 h du matin, Cala Azul, Ibiza : « Vous allez faire connaissance uniquement par l’intermédiaire de vos pieds avec la personne qui se trouve à côté de vous », nous indique Ismael Ludman, cofondateur du festival Ibiza Tango Love avec Maria Mondino. Cet événement qui réunit 120 personnes des cinq continents– fait des ponts entre le tango et le tantra. Je me mets donc à caresser du bout des pieds ceux du grand blond barbu devant moi: je parcoure sa cheville, son talon, je glisse sous sa voûte plantaire, je remonte, le piétine doucement, et « pianote » chacun de ses orteils avant de finir par un éclat de rire. Quelques heures plus tard, j’apprends qu’il s’appelle Jan et qu’il habite à Stuttgart. Je ne me souviens plus de ce qu’il fait dans la vie. Car en fait… Peu importe. « Les hommes, vous allez occuper l’espace et marcher dans toute la pièce au milieu des femmes. Les femmes, vous allez fermer les yeux tout le long de l’exercice. Les hommes vous allez poser vos mains sur elles avec une intention de gratitude » guide Ismael. Je me retrouve avec deux mains posées sur les épaules, les mollets, puis quatre, puis six. Etonnée par la douceur des gestes. Quand j’ai ouvert les yeux, j’ai cherché à savoir qui avait été à l’origine de ces délicates attentions, mais les trois hommes avaient disparu. Des gestes désintéressés, honorant l’existence de l’autre, ce serait ça aussi le tantra ? « Changement de rôle ! », poursuit Ismael.

 

Cela fait 10 ans, qu’Ismael et Maria explorent la voie tantrique. Ils ne sont pas un couple mais ce festival est leur co-création. Cette danseuse argentine me raconte avoir été attirée par l’esprit libre de l’île, son côté « scorpion ». « Il existe une énergie particulière ici », m’explique-t-elle, assise sur une roche, le regard face à la mer, un hippocampe tatoué sur le mollet gauche. Dans ce lieu marqué par un fort magnétisme -le sol est constitué de beaucoup de fer- Maria poursuit sa quête spirituelle et « cette relation profonde et connectée avec la vie ». Pour elle, comme pour Ismael, le tango et le tantra offrent de vrais outils pour expérimenter la connaissance de soi, la réconciliation, « l’unité ». « Quand je suis arrivé, je trouvais que les gens s’embrassaient avec une vraie chaleur et sincérité pour se dire bonjour » se souvient Ismael, les cheveux noirs ondulés, lui aussi tatoué sur le bras, entre autres du symbole de Shiva. Pour ma part, je reconnais qu’il se passe quelque chose sur cette fameuse île, elle invite à être tantrique : la connexion à soi, aux autres, aux cinq éléments, à l’énergie, les cinq sens toujours en éveil, la liberté… Dans ce cadre, le tableau imaginé par Ismael et Maria m’a aidé à percevoir le tantra comme un apprentissage à ETRE au monde, un rapport érotique avec ce qui est et qui nous entoure, perpétuer une sorte d’état amoureux à soi, à l’autre et à la nature, au vivant. Prendre le temps de caresser un chat, croquer dans la chair sucrée et juteuse d’une mangue avec délectation, faire une sieste sur le tronc d’un arbre, glisser sa main sur l’écorce. Au programme du séjour : Yoga, ateliers de tantra, danse contact, tango, cérémonie du thé, spectacle du feu, spectacle de tissu aérien, soirée blanche. Si je devais faire un trailer, des images me reviennent de Beto, l’argentin qui faisait de l’éco-construction et me racontait ses pratiques chamaniques, de cette danse avec un inconnu qui ressemblait à deux chiots jouant ensemble, où j’apprenais à rouler sur l’autre, être portée, chevauchée en gardant toujours le contact, avec un mollet, le dos, les mains, la tête peu importe pourvu que l’énergie ne cesse jamais de tourner, pourvu que la danse ne s’arrête pas. J’ai une pensée affectueuse pour Nina, sorte de Frida Khalo hollandaise, qui la journée, donne aux enfants des spectacles d’éducation à l’environnement et le soir des spectacles de burlesque aux adultes. Femme si libre qu’elle s’était affranchie de porter une petite culotte et ne privait pas de s’en vanter. Je pense à Carlos, qui a tout quitté pour créer un éco-village au Portugal ou encore à cet allemand qui me poursuivait pour échanger sur Gilles Deleuze, soutenant mordicus « Ach so, les gens doivent comprendre combien le corps est un zupport incroyable d’innovazzzion sozzziale ». Quels qu’ils soient, aux côtés de ces nomades, de ces rois et reines, j’ai aimé expérimenter la souveraineté du corps, la reliance, la non-possession en amour et en amitié, la liberté. A mon retour, j’ai raconté mon expérience à Patrick Viveret qui m’a dit : « Le tantra, dans ses meilleurs côtés, est lié à la question du bien vivre, de la transformation personnelle et sociale. Il revisite la puissance créatrice du Yin, la capacité d’émerveillement du Yang et offre en effet la capacité de s’élever en amour et vivre pleinement son humanité ».

 

Valérie Zoydo